Suite de l’article L’aide thérapeutique-la thérapie contre la violence
Voici le 4e et dernier article provenant du travail du psychologueSteven Bélanger. Coordonnateur clinique Pro-gam du centre
d’intervention et de recherche en violence conjugale et familiale.
L’alliance thérapeutique : possible et nécessaire
L’aménagement d’un espace thérapeutique, d’un lieu propice au partage de confidences dans un climat de respect et de confiance nous apparaît donc comme une condition prioritaire dans une démarche thérapeutique auprès de personnes ayant un problème de violence. D’ailleurs, l’ensemble des recherches portant sur le processus thérapeutique, toutes orientations théoriques confondues, démontre que les éléments constituant la qualité de la relation thérapeute-client « … comptent pour 70 % de la variance associée au résultat du traitement » (Duncan, B.L. et Miller, S.D., 2000).
C’est dire que le lien de confiance a un effet rassurant qui encourage le client à prendre le risque de se dévoiler, de donner libre accès à des parties fragiles de lui-même et de faire face à sa réalité. Parce que les risques sont multiples : ne pas être écouté, entendu et compris, être jugé condamné et puni, se sentir nié, discrédité, rejeté et, possiblement, encore une fois abusé d’une certaine façon. Parce qu’il nous faut appréhender la violence par la voie des dispositions et des motivations affectives qui la sous-tendent. « La violence contemporaine ne peut être envisagée en dehors des sentiments qui la modulent » (Michaud, Y., 2002).
Une place centrale doit donc être accordée à l’établissement d’un lien de confiance entre le thérapeute et le client. Celui-ci doit avoir la certitude que ce qu’il confie à son thérapeute va être utilisé dans le sens de ses intérêts, c’est-à-dire dans le sens de l’alliance de travail sur laquelle ils se sont mis d’accord en début de démarche. Il doit aussi avoir la certitude que ses confidences resteront entre eux, quoi qu’il arrive, à l’exception des situations où il consent librement que certains renseignements soient communiqués à certaines personnes en particulier, dans des buts très précis, et qu’il en sera informé; à l’exception aussi des situations prévues par la loi.
L’alliance positive est aussi tributaire de l’impression du client que les stratégies thérapeutiques sont adaptées à ses besoins, à sa situation, à son rythme et à ses propres ressources. Le traitement qui lui est imposé de l’extérieur doit être vécu de l’intérieur comme étant libre de pression et de menaces. De plus, s’il se sent partie prenante de son processus de changement et que ses compétences sont mises à contribution, son engagement dans sa démarche est en partie acquis.
Vers une théorie du changement
Si, à l’instar des stratégies de contrôle social de la violence, l’on ne veut pas restreindre l’intervention thérapeutique à l’élimination du symptôme par des stratégies de contrôle des conduites d’agression et risquer d’engendrer une sophistication de la violence, la psychothérapie se doit de proposer une autre voie.
En dépit d’une parenté génétique de 98,4 % avec les primates supérieurs (Kahn, A., 2000), les humains sont dotés d’un niveau de conscience d’eux-mêmes et de leur environnement leur permettant de réfléchir et d’inventer des solutions adaptées aux diverses situations auxquelles ils sont confrontés. Pourvus d’imagination et de créativité, ils ont accès à un ordre plus complexe de réponses à des situations aversives, en plus des réactions d’attaque, de fuite ou de soumission observées chez les animaux (Laborit, H., 1976).
L’humain est capable de réfléchir par lui-même. Une entreprise thérapeutique a donc tout avantage à miser sur cette faculté exceptionnelle pour aider la personne à trouver des solutions adaptées à ses besoins et à sa situation, à se réapproprier ses propres ressources, à développer son potentiel de manière à ce qu’elle en vienne à mieux s’assumer comme personne et à être un peu moins souvent malheureuse.
Dans nos politiques de gestion judiciaire et psychosociale de la violence conjugale, on met beaucoup l’accent sur la « responsabilisation » quand il s’agit d’intervention auprès des auteurs de violence. On s’attend généralement à ce qu’un individu cesse d’être violent s’il en vient à assumer « l’entière » responsabilité de sa violence. Bien que l’on puisse questionner le réalisme d’un tel projet, que signifie vraiment cette « responsabilisation » ? Comment peut-on aider un individu à se responsabiliser ?
Les réponses à ces questions sont probablement multiples. Toutefois, plus on s’acharne à inculquer, de l’extérieur, des principes vertueux et plus acceptables socialement, plus on force le changement de mentalité par des pressions morales, idéologiques ou légales, moins on s’adresse au potentiel et aux compétences individuelles et moins on aide les gens à se prendre réellement en main, à se responsabiliser. S’ils cessent toutefois d’être violents, c’est possiblement beaucoup plus par conformisme et pour éviter les conséquences de leurs gestes que parce qu’ils ont évolué dans leur mentalité et dans leur humanité.
À trop vouloir responsabiliser, on peut facilement
tomber dans l’instrumentalisation, dans la répression et dans l’infantilisation. Au bout du compte, cela ne fait pas nécessairement des individus plus responsables.
Vouloir inventer ne veut pas dire non plus mettre de côté ce qui a déjà été inventé. À une époque où peu d’individus réfléchissaient sur l’esprit humain et sur la condition humaine, le vieux Socrate nous avait déjà fait toute une démonstration d’intelligence et d’humilité. Sa mère ayant été sage-femme, il transposa la maïeutique (l’art de l’accouchement) en « l’art d’aider à accoucher les esprits de pensées justes », l’art de l’accompagnement; parce que c’est un processus naturel qui ne peut ni se forcer ni s’empêcher.
Il croyait qu’il ne fallait pas trop chercher à enseigner, mais plutôt à aider la personne à réfléchir. Selon lui, « la vraie connaissance ne peut venir que de l’intérieur de soi, (…) personne ne peut nous l’asséner » (Gaarder, J. 1991). Il est bien évident qu’on a beaucoup plus d’ouverture à accepter ce qui vient de soi-même que ce qui est imposé par les autres. Ceci prend toute son importance lorsqu’il est question d’aide auprès de personnes contraintes à consulter.
Conclusion
On dit souvent que la violence est un « manque de vocabulaire » (paroles célèbres de Gilles Vigneault), l’expression d’une difficulté de mettre en mots une expérience émotionnelle déstabilisante. On connaît les vertus thérapeutiques de la parole dans un processus de changement, lorsque celle-ci est connectée avec l’expérience émotionnelle extériorisée. On a aussi démontré l’importance de la relation en contexte thérapeutique pour favoriser les confidences et les résultats positifs. De plus, le respect du client et la protection de l’espace thérapeutique font partie intégrante des codes de déontologie des professionnels en psychothérapie.
Malgré toutes ces évidences, il devient de plus en plus difficile de préserver ce lieu privilégié lorsqu’il est question de violence. Avec la montée du terrorisme international, la sécurité est devenue un enjeu prioritaire et sa préoccupation à un effet domino sur tous les secteurs d’activité, y compris la thérapeutique. Les droits et les libertés individuels risquent de perdre encore plus de chemin à l’avantage des intérêts collectifs.
Pour ma part, je trouve que le travail de M. Bélanger cerne bien le problème qu’est la violence dans son ensemble, et amène les solutions possibles. Malgré que le sujet dont traitaient ses articles soit tabou, il me croyait bon de partager le travail d’un psychologue expert en la matière.
Bibliographie
Duncan, B. L., Miller, S. D., Le client héros de la thérapie : Pratique de la thérapie orientée par le client et guidée par les résultats, Éditions Satas, Belgique, 2003.
Gaarder, J., Le monde de Sophie, Édition du Seuil, Paris, 1991.
Kahn, A., Et l’Homme dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne, Nil Éditions, Paris, 2000.
Laborit, H., L’Éloge de la fuite, Collection Folio Essais, Paris, 1976.
Michaud, Y., Changements dans la violence : Essai sur la bienveillance universelle et la peur, Éditions Odile Jacob, Paris, 2002.